De la Russie à Paris

10 novembre 2010 > 16 janvier 2011

Avec Michel Kikoïne, Nicolas Wacker, Yankel et Rustam Khamdamov

La présentation d’une centaine d’œuvres, des peintures, des dessins, des collages allant de 1920 à nos jours, propose de réunir le temps de l’exposition trois générations d’artistes d’origine russe. Michel Kikoïne (1892, Gomel (Biélorussie) – 1968, Paris) et Nicolas Wacker 1897, Kiev (Ukraine) – 1987, Paris) appartiennent à la première génération de ces migrants de l’Est qui découvrent la liberté de peindre. Fils de Michel Kikoïne, Yankel, né à Paris en 1920, passe sa petite enfance radieuse à la Ruche, lieu de refuge des artistes immigrés et haut lieu de l’art moderne. Venu à Paris en 1992 au titre d’artiste en résidence, le cinéaste Rustam Khamdamov (né en 1944 à Tashkent, Ouzbékistan) a vécu trois années d’intense création graphique qui lui ont permis d’oublier son désenchantement cinématographique. L’expression figurative, répondant cependant à une volonté esthétique toute personnelle, est le seul élément qui rapproche le langage visuel de ces quatre créateurs.

Pour un artiste en quête de destin, l’élection de la terre d’accueil doit être réfléchie au regard de ses attentes : une stimulation intellectuelle et créatrice. En ce début du XXème siècle, en Russie, tous les regards sont tournés vers l’Ouest et Paris comme centre artistique dynamique et rayonnant. Montparnasse et la Ruche, avec des ateliers au loyer modique, des cafés bon marché, facilitent l’entraide, la sociabilité et l’émulation des artistes exilés qui forment l’École de Paris aux tendances esthétiques des plus diverses entre Tradition et Avant-garde, empêchant toute classification distincte.

Arrivé en 1912, Kikoïne, partageant avec ses amis de jeunesse de Chaïm Soutine et de Pincus Krémègne la passion des grands maîtres classiques, rêve d’approfondir sa connaissance de Courbet, Cézanne, Renoir, Monet. D’une curiosité inlassable pour la multiplicité des formes, des lumières qu’offre la vie apparente, il aime traduire l’essence des choses faisant chanter la couleur, exaltant la matière par une touche puissante imprimée dans la pâte, une palette aux couleurs chatoyantes et « senties ». Seuls ses portraits dessinés, passant des contours subtils aux zones denses de clair-obscur, constituent une interprétation tempérée de son expressionnisme judéo-russe.

Désireux d’entrer en contact avec les avant-gardes de la capitale, Wacker débarque à Paris en 1926, après un bref séjour en Allemagne. Sa peinture a connu plusieurs phases liées aux vicissitudes de sa vie personnelle, mais présente néanmoins une unité fondamentale. Les formes, figuratives ou non figuratives, appartiennent au même langage que seul le regard change. Chercheur exigeant pour qui la technique de la peinture doit naturellement faire partie de l’acte de peindre, Nicolas Wacker explore la voie cubiste (influencé par Roger Bissière) avant d’opter pour un style figuratif dépouillé, entre figuration et abstraction. Wacker poursuit son inlassable recherche de la lumière : le choix chromatique – les terres, les ocres, les blancs – baigne ses œuvres dans une atmosphère singulière et nostalgique.

Yankel, a renoncé à sa carrière d’ingénieur en géologie pour se lancer, en 1952, dans l’aventure artistique, dans la lignée de l’École de Paris. Loin des manifestes et des écoles, il se veut indépendant dans l’usage de la forme et de la couleur qui ne repose plus que sur l’acuité de son regard, la vivacité de la main et les caprices de son humeur. Ses œuvres des années 90 et 2010 affirment son goût pour les assemblages hétéroclites d’objets prélevés du folklore artisanal ou industriel.

Les dessins aux traits dépouillés, les aquarelles soulignées de fusain et d’encre de Rustam Khamdamov ont pour sujet récurrent la Femme, symbole de la Vie. L’œuvre de ce cinéaste reste à un stade intermédiaire entre le graphisme et la peinture. La fusion entre la ligne et les plages colorées confère à ses créations un climat de rêverie sensuelle, proche de ses films.

L’exposition « De la Russie à Paris » est un moment privilégié de rendre hommage à Michel Kikoïne et Nicolas Wacker, parcourir avec délectation les vingt cinq ans de création de Yankel et découvrir le travail pictural de Rustam Khamdamov.

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Michel Kikoïne, "Jeune fille au chat", 1950 © ADAGP, Paris 2010