Janice Niepce, Sabine Weiss : Objectifs femmes

14 janvier > 15 mars 2009

Avec Janice Niepce et Sabine Weiss

Voir par procuration pour le photographe suggère un travail en solitaire. Aucune passivité dans ce métier qui exige à la fois un engagement dans le temps et des compétences techniques (nécessaires car l’appareil photographique est le prolongement de l’intuition). Avec une inlassable curiosité, l’œil alerte, le photographe est à l’affût de ces instants  décisifs, seul à entendre le déclic entre lui et le sujet. Comme un témoin, placé là où il faut, quand il le faut, il fixe l’insaisissable dans sa spontanéité et son originalité. École d’attention, d’instinct, d’anticipation, de concentration, la photographie semblerait une prérogative masculine.

Fixer les moments intenses d’émotion, de beauté, d’insolite, conserver l’éphémère…

Janine Niepce (1921-2007) et Sabine Weiss (1924) ont la passion de ces images instantanées jusqu’à en faire leur métier. Peut-être, par attrait pour l’aventure suscitée par le métier mais surtout par engouement pour des possibilités expressives de la photographie qui se révèle comme un langage  en attente d’être dynamisé par un regard individuel.

Évoluant dans un univers alors exclusivement masculin, Janine Niepce et Sabine Weiss ont œuvré avec opiniâtreté pour mener à bien leur rêve de femme française moderne : réaliser des « chroniques visuelles » de l’histoire contemporaine, de la vie, sans faillir à leur rôle d’épouse et de mère.

« Ce qui est difficile, c’est de photographier ce qui est proche de soi, des scènes de la vie quotidienne » (Janine Niepce), « L’amour des gens, c’est beau. C’est grave, il y a une profondeur terrible » (Sabine Weiss).

À l’instar de leurs contemporains, Henri Cartier-Bresson, Willy Ronis, Édouard Boubat, Robert Doisneau, elles ont privilégié le rôle humain du photographe en plaçant l’homme au cœur de leur propos. Mais ces deux femmes photographes se démarquent par une différence d’approche, de sensibilité et de choix du sujet. Un assemblage subtil d’humanisme, de politique et d’intimité.

Janine Niepce, première femme reporter-photographe française, a utilisé son regard aiguisé pour retracer les bouleversements sociaux qui ont marqué la deuxième moitié du XXème siècle : la vie rurale en voie de disparition, la période insouciante des « Trente Glorieuses », Mai 68… Mais c’est en témoin attentif et engagé que Janine Niepce couvre l’évolution de la condition féminine faisant d’elle le photographe de l’histoire des femmes en France. Exigence du cadrage et rigueur de la composition, chez Janine Niepce, soulignent sa finesse d’observation, son art du détail révélateur.

Photographe de l’émotion, Sabine Weiss a beaucoup observé l’enfance, source inépuisable de scènes drôles, tendres et toujours émouvantes. Pour chercher l’expression, le regard, le geste inoubliable dans sa spontanéité et dans sa simplicité, elle se fait complice des enfants dans  leurs rires et leurs jeux, proche de son sujet pour entrevoir l’âme car une photographie est toujours le récit d’une relation. Les portraits d’enfants de Sabine Weiss livrent une observation respectueuse, attendrissante, maternelle.

Dans un balancement incessant entre montrer et suggérer, entre réalité et expression, leur talent photographique, combiné à l’intelligence, à l’esprit et à la ténacité, a forcé le respect de leurs confrères.

La centaine de photographies en noir et blanc, ici exposées, nous invite à glisser notre regard dans l’objectif de Janine Niepce et Sabine Weiss.

Janine Niepce, "Une petite fille est née dans une rose" , Paris, 1967 © Janine Niepce
Sabine Weiss, "Rapho, Egypte", 1983 © Sabine Weiss/Rapho

Herman Braun-Vega : Mémoires

6 mai > 26 juillet 2009

Abstrait dans les années 50, Herman Braun-Vega aurait pu rejoindre les grands noms de la peinture informelle. Mais, par amour du dessin parfait, par amour des grands classiques de la peinture occidentale (découverts grâce à ses séjours d’études et de recherches en Europe), il opte pour un art figuratif et fonctionnel où la peinture tient lieu de discours, de littérature et de témoignage.

Inspiré par le travail de Picasso autour de Vélasquez, Herman Braun-Vega revendique, depuis quelques décennies, le plaisir de jongler avec des styles picturaux et de pianoter dans les registres dissemblables tout en restant attentif au monde qui l’entoure.

Cette liberté prise lui a permis d’innover, dans un même espace pictural, un système de trois mémoires : la mémoire historique à travers l’iconographie des grands maîtres devanciers (choisis par filiation d’idées), la mémoire sociale et politique à travers les évènements du monde grâce à la technique de transfert des coupures de journaux et la mémoire quotidienne du peintre (c’est-à-dire tout ce qu’un enfant ou une personne peu cultivée peut reconnaître dans le tableau et associer à son vécu).

Loin d’être confuse, cette juxtaposition d’images incongrues sert une nouvelle réalité fictive mais parfaitement véridique et vérifiable, avec un sens raffiné de la mise en scène et de la mise en couleurs. Et l’on y prend plaisir à retrouver un symbole, à reconnaître un message.

Une trentaine d’œuvres – peintures et dessins – vous invite à vous laisser aller au charme de ce florilège. Car malgré cette densité conceptuelle (syncrétisme, métissage culturel et artistique), la peinture de Braun-Vega est claire, compréhensible même pour le plus néophyte des spectateurs.

15 Don Pablo baila un huayno
Herman Braun-Vega, "Don Pablo baila un huayno (danza andina de la Sierra peruana) bajo la mirada sorprendida de Matisse (Duncan)", 2005 © Adagp, Paris 2009

6e Biennale d’Antony

7 > 31 octobre 2009

Avec Aïoub Emdadian, Irina Manchuelle, Anne Moser, Yvon Mutrel, Piko-Cauwel, Pascal Roiné, Emmanuel Schamelhout, Laurent Thauvin

Anne Moser, "Ancrage 0405, La Gendronnière, forêt", 2005
Piko-Cauwel, "Couple "
Aïoub Emdadian, "Pêcheurs"

Europe : Danemark, Hongrie et Roumanie

12 novembre 2009 > 17 janvier 2010

Avec Bjarne Agerbo, Søren Bjaelde, Bo Halbirk, Claus Handgaard, Charlotte Hjorth-Rohde, Catherine Poher, Andrea Biro, Itsván Orosz, Márton Takáts, Antal Vásárhelyi, Csaba Zemlényi, Mircia Dumitrescu, Ion Atanasiu Delamare, Rézegh Botond, Petru Şoşa, Orbán Anna-Mária et Baász Orsolya 

L’estampe est toujours le produit de deux opérations successives : la création de la matrice (cuivre, bois, pierre ou toute autre matière dure) sur laquelle l’image est gravée soit en creux, soit en relief. Et l’impression faite à l’aide d’une presse sur une feuille de papier, à la fois souple et résistante, un papier « amoureux » qui aime l’encre.

Une table de travail bien éclairée suffit pour le graveur sur bois. Il se contente d’un frotton ou d’un brunissoir pour réaliser ses épreuves d’essai, résultat de la « patience impatiente » du graveur. Infiniment plus complexes, les autres procédés, la taille douce, l’eau-forte, l’aquatinte, les procédés photographiques et numériques nécessitent un équipement spécifique, lourd et onéreux, inaccessible aux graveurs travaillant seuls. Les ateliers collectifs de gravure résolvent cette difficulté et renforcent la communication entre graveurs. Dans ces lieux de création, on veille à la culture esthétique et technique et à la promotion des réalisations de ceux qui se destinent à ce métier difficile.

Européen convaincu, francophile de cœur, le peintre et graveur danois Torben Bo Halbirk a fondé, en 1992, l’Atelier Bo Halbirk situé dans le 11ème arrondissement de Paris. Originellement conçu comme un lieu de travail et de contact pour les artistes danois et français, l’Atelier BH est vite devenu un lieu de rencontre et de recherche pour des graveurs de toute origine. Des relations ont été nouées avec d’autres collectifs en Europe mais aussi dans le monde. La réunion de 17 artistes européens résulte de ces échanges amicaux qui maintiennent et développent le dynamisme de cet art séculaire.

Les danois Bjarne Agerbo, Søren Bjaelde, Bo Halbirk, Claus Handgaard, Charlotte Hjorth-Rohde, Catherine Poher sont membres de l’Union des Artistes Graveurs Danois ; Les hongrois Andrea Biro, Itsván Orosz, Márton Takáts, Antal Vásárhelyi, Csaba Zemlényi viennent de l’Association des Aquafortistes et des Lithographes Hongrois. Les roumains Mircia Dumitrescu, Ion Atanasiu Delamare, Rézegh Botond, Petru Şoşa, Orbán Anna-Mária et Baász Orsolya font partie de l’Association de Taille-Douce Roumaine. 

L’ensemble des œuvres originales imprimées offre un foisonnement d’individualités, de sensibilités, d’esthétiques et de tendances artistiques les plus diverses. Tout en conservant leur appartenance spirituelle et l’obligation de rigueur propre à l’estampe.

Respect du beau métier chez les artistes graveurs hongrois et roumains qui recourent aux procédés traditionnels, suffisants pour porter leurs visions et servir leurs styles. L’eau-forte et ses subtiles oppositions soulignent la notion du temps chez Takáts, la vision paradoxale et illusionniste d’Orosz . Combinées aux riches grisailles de l’aquatinte, elles subliment la démarche surréaliste d’Atanasiu Delamare ou le graphisme tendu de Dumitrescu. La lithographie révèle la sensibilité d’Andrea Biro et la sérigraphie reflète la rêverie mélancolique d’Orbán.  

Un désir de renouveau et un besoin de liberté animent les artistes danois qui promulguent l’émancipation de toutes ces traditions. Les paysages de Bo Halbirk, en aquatinte enrichie de diverses improvisations et adjonctions, engendrent l’ombre et son mystère. Les images numériques de Handgaard réfléchissent notre désarroi devant la complexité du monde moderne. La photogravure, en intégrant les éléments photographiques, permet à Hjorth-Rohde d’explorer la réalité occultée. 

Dix-sept artistes graveurs européens, trois ateliers collectifs, cinquante trois estampes originales contemporaines qui dévoilent la vitalité de cet art ancestral. À chaque visiteur de réussir son « essai au bonheur », à la découverte de ces images imprimées.

Bjarne Agerbo, "Bad day"
Márton Takáts, "Budapest, Hommage à Piranèse IX"
Ion Atanasiu Delamare, "Silhouette"

Extra-Muros, scènes de paysages

17 février > 25 avril 2010

Avec Christophe Dugied et Andoche Praudel

Porteuse d’une représentation descriptive mais aussi subjective de la réalité, la photographie semble avoir la faculté de véhiculer des idées et des concepts esthétiques. Plus qu’une technique, c’est un outil conceptuel autonome susceptible de mener à la perfection le projet artistique. Depuis les années 60, cette technologie connaît un engouement sans précédent chez les artistes qui l’intègrent de plus en plus à leur pratique. Cent soixante-dix ans après son avènement, la photographie fait partie des sept familles de l’art contemporain avec une grande variété de styles, de présentations et d’intentions.

L’acte photographique actuel résulte d’un processus intellectuel qui est à l’opposé de la photographie sur le vif, de l’instant décisif défini comme le moment le plus significatif d’une réalité donnée. Aujourd’hui, l’information photographique (en tant que témoignage documentaire) est orientée vers une direction autre. Pour mieux appréhender la perception du monde, on utilise l’idée de collection, on fait appel à la « pensée des arts plastiques » pour donner une dimension et un statut artistiques.

À la frontière du reportage, le travail photographique de Christophe Dugied et d’Andoche Praudel reflète cette même intention esthétique.

Christophe Dugied aime les paysages nocturnes et périurbains consacrés aux ports, entrepôts et usines désertés. Il produit des tableaux photographiques comme en témoignent leur grand format et l’utilisation des couleurs qui matérialisent la lumière. Le cadrage des architectures, le jeu infini des lignes, l’accent mis sur les ombres ciselées concourent à transcender (théâtralement) ces lieux de transition et provoquent le sentiment d’une narration suspendue. Les œuvres de Dugied s’apparentent aux images filmiques. Il y règne une atmosphère de mystère, d’attente et de menace.

Andoche Praudel immortalise les vestiges d’un monde rural en déclin à travers les séries « Cours de fermes » et « Champs de bataille », issues d’un travail d’inventaire et de réflexion. Les paysages sans présence humaine sont lisibles, la couleur leur confère une illusion d’idéalité.

Mais l’aspect documentaire revêt la dimension artistique. Par le choix du grand format panoramique, pris à la peinture, qui doit apporter une plénitude au regard et faire ressentir l’harmonie et l’ambiance du lieu. Par l’emploi d’un papier japonais traditionnel qui apporte, outre la séduction d’une estampe, une valeur littéraire et une atmosphère poétique à ses champs agraires. Ces conditions sont favorables à la contemplation et à la prise de conscience d’une nature de plus en plus dévastée.

Les photographes Christophe Dugied et Andoche Praudel se prêtent au jeu du documentaire sans esprit de documentation. Pour magnifier leur sujet simple et banal, ils restent attentifs à la qualité technique convaincus que la force de l’image peut engendrer des émotions intenses, établir le dialogue avec celui qui la regarde. 

Ces fragments de paysages réalisés nous laissent osciller entre interrogation et étonnement. Nous sommes prêts à garder l’œil éveillé et la conscience en alerte.        

Andoche Praudel, "Champs de Bataille", 2009
Christophe Dugied, "Les Trois Portes", 2002

Albert Gleizes & Moly Sabata

12 mai > 25 juillet 2010

Avec Albert Gleizes, Robert Pouyaud, Anne Dangar et Jean-Claude Libert

La présentation chronologique d’une trentaine d’œuvres d’Albert Gleizes (1881-1953) –peintures, dessins et gravures- permet de parcourir l’univers passionnant d’une figure marquante du Cubisme et de suivre aisément son évolution artistique, entre 1903 et 1951.

À travers ses nombreux essais -il n’est pas homme à garder secrets les éléments de son esthétique- Albert Gleizes trace le programme rigoureux d’un art, issu du Cubisme, entièrement renouvelé, plus sensible qu’il mène seul jusqu’à l’aboutissement. Une « peinture plane », fondée sur la mesure et le rythme, se suffisant de son propre objet, qu’elle soit figurative ou non.

À ses implications intellectuelles et artistiques, s’en ajoute une d’ordre social : la position des artistes sur le marché de l’art. Pour faire face à la spéculation, à la production industrielle, il offre à ses pairs refuge et atelier à Moly-Sabata à Sablons en Isère. Un lieu de retraite favorable à l’ascétisme mais aussi un centre d’étude et de rencontre pour tous les artistes souhaitant fonder la peinture sur des bases nouvelles. Robert Pouyaud (1901-1970), Anne Dangar (1885-1951), les disciples de Gleizes et Jean-Claude Libert (1917-1995) ont participé à cette aventure communautaire utopique. Leurs œuvres, associées à cet hommage, font revivre l’expérience de Moly-Sabata.

Albert Gleizes est arrivé à la peinture par l’Impressionnisme. Comme Jean Metzinger, Robert Delaunay, il découvre des dimensions, des modes de construction plastique autres que le modelé classique. Quelques raisons pour expliquer cette remise en question : engouement pour les découvertes scientifiques, fascination pour l’art primitif riche en imagination et en inventions plastiques et la grande exposition rétrospective de Cézanne (1907) qui apporte sa leçon de combinaisons de cônes et de cylindres.

Le Cubisme, initié par Braque et Picasso, se propose de bouleverser les concepts esthétiques et techniques de l’art traditionnel né de la Renaissance. L’acte de peindre ne se contente pas d’imiter le réel. L’espace pictural est organisé de façon à rendre visible la spécificité de la peinture (ligne, couleur,…). Le visible, qui résulte d’une construction de l’esprit, reste le seul valable. « Les sens déforment, l’esprit forme » (Braque). Un ordre plastique d’avant-garde qui laisse la liberté, à chaque prospecteur et selon sa propre ingéniosité, de concevoir l’espace du tableau dans son autonomie. « L’art est la révélation d’une vérité et non une effusion romantique » (Max Jacob).

En marge du Cubisme de Braque et de Picasso, son processus pictural rejoint celui de ses camarades du groupe de la Section d’Or, Metzinger, Le Fauconnier, Robert Delaunay, Fernand Léger, Jacques Villon… Elle a pour objet fondamental l’architecture de la composition dont les constantes sont rythme, harmonie et équilibre inscrivant ainsi le Cubisme dans la Tradition française.

Gleizes prône un retour à la Tradition mais sous une forme vivante. Avec méthode et discipline, il trouve dès le début des années 1920 sa solution personnelle pour arriver à ce qu’il entrevoit de réellement dynamique en art pictural : l’aplatissement de la forme par surface plane, le glissement et la rotation des plans, les cercles(1), se nouant et se dénouant en courbures, spirales et entrelacs, déterminent le rythme qui unifie les figures plastiques. Un système de peinture pensé comme un métier qui ouvre la voie à tous les arts de l’objet depuis l’architecture jusqu’aux activités artisanales. Les cinquante sept estampes de 1949 illustrant Les Pensées sur l’Homme et Dieu de Blaise Pascal rassemblent les diverses étapes de cette longue méditation esthétique, révèlent son dessein d’unir la foi et la raison.

L’interprétation musicale de la couleur-mouvement le conduit, dans ses dernières œuvres de 1950-52, vers une peinture lyrique, à la limite de l’abstraction où le glossaire disparaît au profit de l’arabesque et de la couleur.

Son engagement à constituer une communauté « d’individualités conscientes » a inspiré la décision d’Albert Gleizes d’ouvrir, en 1927, le domaine de Moly-Sabata à Sablons aux intellectuels et aux artistes de toutes disciplines, soucieux de la régénération de l’homme, partageant une activité créatrice désintéressée.

On y vit en famille et on se donne un but concret : à côté du travail de la terre, subvenir en créant. En accord avec Gleizes pour un retour aux arts traditionnels et manuels, ils deviennent artisans potiers, menuisiers, tisserands …, des exercices étrangers à leur fonction de peintre ou de sculpteur. L’artiste est le plus zélé des artisans. Nulle rupture entre les hommes de métier ! Le désir du travail bien fait incite Anne Dangar et Jean-Claude Libert à se former auprès du potier paysan de la région. Ces artistes-artisans, épris de « la belle ouvrage » transposent, innovent, assurent le rayonnement de la pensée de Gleizes et de son œuvre. Les beaux pochoirs de Pouyaud d’après des peintures de Gleizes s’adressent à des amateurs aux revenus modestes, les poteries utilitaires raffinées d’Anne  Dangar et de Libert embellissent la vie au quotidien. Conformément au vœu social de Gleizes.

Robert Pouyaud, de 1927 à 1930, puis Anne Dangar, de 1930 à1951, veilleront aux destinées du lieu. Jean-Claude Libert poursuivra le travail de 1952 à 1956.

« Mon effort de peintre a depuis plus de trente ans porté sur ce travail de réfection de l’homme : ma peinture comme moyen expérimental de moi-même ; mes livres comme des essais d’éclaircissement intellectuel, mes organisations pratiques de Moly-Sabata à Sablons en Isère, des Méjades à Saint-Rémy-de-Provence comme aide à des artistes et intellectuels qui veulent se retrouver, corroborent l’unité de mes intentions sous des aspects différents. »

Dans la quête de l’Universel, toute sa vie se passe ainsi en une recherche constante : « celle de faire surnaturel et de faire humain » (Bernard Dorival).

Albert Gleizes s’est éteint en 1953 après avoir vécu l’une des périodes les plus fécondes de l’histoire de la peinture contemporaine. Cinquante sept ans après sa mort, le soutien de la Fondation Albert Gleizes nous donne l’occasion de redécouvrir cette personnalité atypique de l’histoire de la modernité.

 

Albert Gleizes, "Le pont de Serrières", 1920 © Adagp, Paris 2010
Albert Gleizes, "Peinture", 1930-1931, © Adagp, Paris 2010

De la Russie à Paris

10 novembre 2010 > 16 janvier 2011

Avec Michel Kikoïne, Nicolas Wacker, Yankel et Rustam Khamdamov

La présentation d’une centaine d’œuvres, des peintures, des dessins, des collages allant de 1920 à nos jours, propose de réunir le temps de l’exposition trois générations d’artistes d’origine russe. Michel Kikoïne (1892, Gomel (Biélorussie) – 1968, Paris) et Nicolas Wacker 1897, Kiev (Ukraine) – 1987, Paris) appartiennent à la première génération de ces migrants de l’Est qui découvrent la liberté de peindre. Fils de Michel Kikoïne, Yankel, né à Paris en 1920, passe sa petite enfance radieuse à la Ruche, lieu de refuge des artistes immigrés et haut lieu de l’art moderne. Venu à Paris en 1992 au titre d’artiste en résidence, le cinéaste Rustam Khamdamov (né en 1944 à Tashkent, Ouzbékistan) a vécu trois années d’intense création graphique qui lui ont permis d’oublier son désenchantement cinématographique. L’expression figurative, répondant cependant à une volonté esthétique toute personnelle, est le seul élément qui rapproche le langage visuel de ces quatre créateurs.

Pour un artiste en quête de destin, l’élection de la terre d’accueil doit être réfléchie au regard de ses attentes : une stimulation intellectuelle et créatrice. En ce début du XXème siècle, en Russie, tous les regards sont tournés vers l’Ouest et Paris comme centre artistique dynamique et rayonnant. Montparnasse et la Ruche, avec des ateliers au loyer modique, des cafés bon marché, facilitent l’entraide, la sociabilité et l’émulation des artistes exilés qui forment l’École de Paris aux tendances esthétiques des plus diverses entre Tradition et Avant-garde, empêchant toute classification distincte.

Arrivé en 1912, Kikoïne, partageant avec ses amis de jeunesse de Chaïm Soutine et de Pincus Krémègne la passion des grands maîtres classiques, rêve d’approfondir sa connaissance de Courbet, Cézanne, Renoir, Monet. D’une curiosité inlassable pour la multiplicité des formes, des lumières qu’offre la vie apparente, il aime traduire l’essence des choses faisant chanter la couleur, exaltant la matière par une touche puissante imprimée dans la pâte, une palette aux couleurs chatoyantes et « senties ». Seuls ses portraits dessinés, passant des contours subtils aux zones denses de clair-obscur, constituent une interprétation tempérée de son expressionnisme judéo-russe.

Désireux d’entrer en contact avec les avant-gardes de la capitale, Wacker débarque à Paris en 1926, après un bref séjour en Allemagne. Sa peinture a connu plusieurs phases liées aux vicissitudes de sa vie personnelle, mais présente néanmoins une unité fondamentale. Les formes, figuratives ou non figuratives, appartiennent au même langage que seul le regard change. Chercheur exigeant pour qui la technique de la peinture doit naturellement faire partie de l’acte de peindre, Nicolas Wacker explore la voie cubiste (influencé par Roger Bissière) avant d’opter pour un style figuratif dépouillé, entre figuration et abstraction. Wacker poursuit son inlassable recherche de la lumière : le choix chromatique – les terres, les ocres, les blancs – baigne ses œuvres dans une atmosphère singulière et nostalgique.

Yankel, a renoncé à sa carrière d’ingénieur en géologie pour se lancer, en 1952, dans l’aventure artistique, dans la lignée de l’École de Paris. Loin des manifestes et des écoles, il se veut indépendant dans l’usage de la forme et de la couleur qui ne repose plus que sur l’acuité de son regard, la vivacité de la main et les caprices de son humeur. Ses œuvres des années 90 et 2010 affirment son goût pour les assemblages hétéroclites d’objets prélevés du folklore artisanal ou industriel.

Les dessins aux traits dépouillés, les aquarelles soulignées de fusain et d’encre de Rustam Khamdamov ont pour sujet récurrent la Femme, symbole de la Vie. L’œuvre de ce cinéaste reste à un stade intermédiaire entre le graphisme et la peinture. La fusion entre la ligne et les plages colorées confère à ses créations un climat de rêverie sensuelle, proche de ses films.

L’exposition « De la Russie à Paris » est un moment privilégié de rendre hommage à Michel Kikoïne et Nicolas Wacker, parcourir avec délectation les vingt cinq ans de création de Yankel et découvrir le travail pictural de Rustam Khamdamov.

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Michel Kikoïne, "Jeune fille au chat", 1950 © ADAGP, Paris 2010

Guerre et Vie. Ruines et Légèreté, les reporters militaires

15 février > 30 avril 2011

Avec Jean-Baptiste Tournassoud, Louis Fernand Cuville, Paul Castelnau et Albert Samama-Chikli 

Représenter la guerre est un thème traditionnel. Depuis le XVIIe siècle, la peinture d’histoire, alors art civique et idéologique par excellence, joue un rôle de premier plan dans la production d’images de la guerre à mi-chemin du document et de l’imaginaire. Dans un style épique, les effets de mise en scène, l’organisation formelle et spatiale magnifient l’héroïsme, le courage, confèrent aux sujets le sens et la valeur d’un mythe. Cependant, malgré l’exactitude dans l’image des personnages, des uniformes et autres, le jeu de la ligne et de la couleur renvoie au geste de l’artiste, trahit la matérialité de la peinture. Le tableau reste malheureusement une « surface étalée » produisant plus un plaisir esthétique qu’une valeur informative.

Perçue comme une saisie du réel, la photographie, « d’une absolue exactitude matérielle » selon Baudelaire, détiendrait une authenticité dont ne pourrait atteindre aucune autre forme d’image. Inventé pour suppléer le dessin dans la ressemblance absolue, le procédé inaugure une nouvelle ère dans la représentation, devient l’outil de choix pour immortaliser et concrétiser le visible, pour témoigner du monde. Son apparente objectivité séduit le milieu de la presse et de l’information.

Au tournant du XXe siècle, la photographie, devenue culture massive et planétaire, s’affirme comme le mode privilégié pour raconter le combat moderne. Ses avancées techniques (appareils plus légers et plus maniables) la propulsent comme « le peintre le plus féroce de la guerre ».

Procédé de fixation d’empreinte lumineuse, la photographie emmagasine seule de l’information et invite à voir la vraie guerre par procuration. On assiste aux combats tragiques en temps réel, on capte la notion du danger d’une manière indirecte. L’image capturée véhicule ainsi des idées, des sentiments équivalents.

Et de ce fait, son objectivité a ses limites. L’épreuve photographique (même si elle se veut strict enregistrement du réel) adopte un point de vue et ne peut être neutre. Les choix du cadrage, de l’angle de prise de vue, de la lumière manipulent le réel et la vérité, influent sur la perception, manœuvrent les émotions.

Outre le devoir de mémoire, le médium se prête naturellement à toute stratégie de communication.

La Section Photographique de l’Armée (SPA), première agence photographique de l’État créée au lendemain de la Première Guerre mondiale, se voit alors assigner de combattre la propagande allemande par l’image à profusion. Dire avec éloquence les misères de l’invasion, les gloires de la résistance et de la victoire en prenant « des clichés intéressants au point de vue historique (destructions, ruines), au point de vue de la propagande par l’image à l’étranger, au point de vue des opérations militaires par la constitution d’archives documentaires ».

La sélection des photographies présentées, soixante-trois épreuves dont quarante-cinq reproductions d’autochromes, provient des fonds « Première Guerre mondiale » et « Deuxième Guerre mondiale » conservés par l’ECPAD*, Agence d’images de référence et Centre d’archives audiovisuelles du Ministère de la Défense. Les clichés datant de 1916 (2ème période de la Grande Guerre, la guerre d’usure) à 1940 offrent une vision qui n’est pas celle du feu.

C’est une évocation de la guerre avant et après l’acte où toute référence au tragique est bannie de la représentation. On est convié dans les campements et les bivouacs, à constater les ravages matériels de la guerre, à admirer la ténacité psychologique des troupes et de la population civile, à capter les expressions d’une vie sereine à travers des réclames d’époque, des petits métiers…Une description humaniste qui sert à familiariser l’activité guerrière.

Grâce à l’invention de l’autochrome des frères Lumière en 1905, la guerre est fixée pour la première fois en couleurs. Les œuvres de Tournassoud, Cuville, Castelnau ou Samama-Chikli apportent une qualité artistique qui fait oublier la réalité désolante, attribuent aux sujets immortalisés la résonnance du mythe, assurent sans faille la pensée guerrière, dans la continuité de la peinture d’histoire.

*Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense

© photo ECPAD France
© photo ECPAD France

Gérard Le Cloarec : l’œil cosmique

11 mai > 24 juillet 2011

Gérard Le Cloarec, né le 29 décembre 1945 à Penmarc’h (Finistère), développe son goût pour le dessin dès l’âge de dix ans. Prédilection qui le conduit à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs en 1964. Diplômé en 1968, il se voue uniquement à la peinture à partir de 1972. Et un dessein : être au monde et peindre, être témoin de soi-même pour l’être de son temps.

Pendant toutes ses années de formation, Gérard Le Cloarec se montre réceptif à l’influence de la Figuration narrative, se rallie à la Figuration critique, des mouvements artistiques utilisant l’art comme outil de transformation sociale. Malgré cette adhésion initiale et quelques années consacrées à la Jeune peinture, il ne participe véritablement à aucun d’entre eux.

La peinture est toujours à réinventer ; elle peut infiniment trouver des formes nouvelles qui correspondent à une vérité, celle d’une époque comme celle d’un individu. Le monde présent est un univers de codes binaires, de réseaux numériques, de flux de pixels. Dans ce cybermonde naissant, Le Cloarec veut assurer le relais entre le geste pictural et le code informatique, loin des écoles et des manifestes.

Depuis les années 90, les bases du style de Gérard Le Cloarec sont posées, dans une harmonieuse synthèse, entre tradition et innovation, où le portrait tient une place prépondérante. La tête entière est ce que l’on peut voir de plus riche et de plus fin. Elle exige du peintre son attention la plus soutenue. Les visages sont des histoires, ce n’est pas un sujet que je vois mais un émetteur de signes.

Dans la série des portraits, d’ethnies aux célébrités, l’esprit, l’œil et la main de Le Cloarec tendent moins à décrire les portraiturés qu’à les connaître, à les faire surgir, à les préciser grâce à un ensemble de signes qui soit à la fois idéogramme et masque. Une technique bien personnelle qu’il exploitera tout au long de son œuvre. Des traits, des croix, des lignes, des touches irrégulières (formant la grille graphique selon Braun-Vega) fragmentent analytiquement la forme. Des inscriptions de chiffres, de lettres engendrent un type de représentation par scanning, par synthèse (combinaison), génèrent une dimension algorithmique. La rigueur de la composition disparaît derrière les plans richement colorés. Avec ses autoportraits, Le Cloarec ne déroge pas à la règle, l’introspection psychologique n’étant pas le but recherché. Seuls les portraits de femmes en buste, mi-sphinges, mi-robots, révèlent l’intensité d’une énigme.

Une quarantaine de portraits originaux et forts, dont les plus récents « Rembrandt », « Dürer », « De Vinci », « Magritte », « Tanguy », « Max Ernst », sillonne l’univers fantasque de Gérard Le Cloarec. Elle offre surtout la trace éclatante de l’ambition d’un artiste fécond qui se veut précurseur de l’art numérique.

 

balle d'ecume
Gérard Le Cloarec, "Balle d'écume", 2010 © Adagp, Paris 2011

Artistes à découvrir 2011

17 septembre > 16 octobre 2011

Avec Maria Ahmadi Emdadian, Alexandra Fontaine, Guillaume Libert, Murielle Maudet, Catherine Nicolas

La manifestation « artistes à découvrir » s’inscrit dans le prolongement d’une programmation dédiée à la promotion de l’art contemporain auprès d’un large public.

L’exposition fait le choix de privilégier la jeune création, d’offrir l’opportunité aux artistes émergents ou en devenir (de toutes les formes de création) de se confronter au regard du visiteur, de susciter son intérêt et pourquoi pas son adhésion.

Une œuvre d’art est, selon E. Zola, un coin de la création vu à travers un tempérament. De ce fait, l’exposition opte pour un nombre restreint d’artistes invités afin de mettre en valeur les différents univers, de souligner les démarches singulières, enfin de favoriser la rencontre du public et ces réalisations.

La sélection est éclectique visant une diversité sans hiérarchie. Afin de rétablir un rapport plus intime entre l’œuvre et le public, seules comptent la pratique rigoureuse, inspirée et la passion exigeante, totale.

Maria Ahmadi-Emdadian, Alexandra Fontaine, Guillaume Libert, Murielle Maudet et Catherine Nicolas sont les artistes à découvrir. Différents moyens plastiques sont à l’œuvre : dessin, peinture, sculpture, installation,…

À travers la présentation, la Maison des Arts poursuit son ambition et objectif culturels : être le passeur d’une création vivante.

Alexandra Fontaine, "Balade de la mémoire perdue-retrouvée", 2010